Hors du coffre du temps

Hors du coffre du temps
Le 29/06/2006
Dimensions : 60 x 14 cm

Optical clear glass; shaped, sculpted, softened and part polished, specular device, light. 2006

Mémoire

“Puisqu’il n’est cuivre, pierre, terre, ni mer illimitée,
Dont la dure mortalité ne jette bas le pouvoir,
Devant violence telle, comment beauté assurerait sa défense,
Elle dont l’action n’a pas plus de poids qu’une fleur ?
Comment, oh ! comment le souffle de miel de l’été tiendrait-il
Contre l’assaut dévastateur du bélier des jours,
Alors qu’il n’est pas rochers imprenables si éprouvés,
Ni portes de fer si résistantes, que le Temps ne les puisse ruiner ?
O effrayante méditation ! Hélas, où restera caché
Le meilleur joyau du Temps hors du coffre du Temps ?
Quelle main robuste pourra retenir Son pas précipité ?
Qui interdira sa mise à sac de la beauté ?
Oh ! personne, sinon le prodige ayant vertu
Que mon amour encore flamboie dans l’encre noire.”

Shakespeare
Sonnet LXV
Traduit de l’anglais par René Char et Tina Jolas.


 Je reprends humblement la méditation du poète .Ce sont ses derniers vers qui arrêtent mon attention “that in black ink my love may still shine bright” et plus exactement, au-delà du jeu des contrastes, le recours à la métaphore de la lumière. Face à  notre “mortalité” et aux pitoyables
expédients inventés pour reculer la fatale échéance, Shakespeare chante la force du sentiment, son caractère inaltérable, la permanence de l’éclat qui annule le Temps et l’Oubli.

 On peut broder  à l’infini sur  le topos universel du Temps qui nous dévore … face à cette “monstruosité”, la mémoire s’érige, frêle rempart, indispensable pour notre construction personnelle, habile et cependant fugace repère. Je ne peux d’ailleurs penser la mémoire sans l’oubli …dans mon geste de sculpteur, je crois “ériger un monument plus durable que l’airain” 1 mais je connais la vanité de mon entreprise, image de celle de notre monde. Par les traces, nous avançons jusqu’au moment où celles-ci s’effacent…

 “may still shine bright”…traces, empreintes, mémoires, recouvrements, palimpsestes, ex voto, photographie, cendre…nulle permanence si ce n’est celle de la lumière, en tant que phénomène “hors du coffre du Temps”, dont les qualités échappent à l’entendement humain, elle qui possède  la donnée la plus stable de l’existence du monde et dont la vitesse est le seul élément constant.


 “may still shine bright”…l’éclat de ces mots résonne à mes yeux et guide ma main…


Mai 2006

1 Horace, Odes, 3,XXX.